La théorie de l’action sociale d’Erving Goffman
La théorie de l’action sociale d’Erving Goffman, un sociologue canadien, explore la manière dont les individus interagissent et construisent la réalité sociale à travers des performances et des jeux de rôles․
Introduction
Erving Goffman, sociologue canadien né en 1922, est considéré comme l’un des pionniers de la microsociologie et de la sociologie de la vie quotidienne․ Son œuvre, marquée par une approche interactionniste, s’intéresse à la manière dont les individus construisent et maintiennent l’ordre social à travers leurs interactions quotidiennes․ Goffman propose une analyse de la vie sociale comme un théâtre, où les individus jouent des rôles et gèrent leurs impressions pour se présenter favorablement aux autres․
Sa théorie de l’action sociale, développée dans des ouvrages tels que “La présentation de soi” (1959) et “Asiles” (1961), met en lumière les mécanismes de la performance sociale, de la gestion des impressions et de la construction de l’identité dans les interactions quotidiennes․ Son approche, inspirée par le courant de l’interactionnisme symbolique, met l’accent sur le caractère négocié et dynamique des interactions sociales, ainsi que sur l’importance des symboles et des significations dans la construction de la réalité sociale․
Goffman et la dramaturgie sociale
Goffman utilise la métaphore du théâtre pour comprendre l’interaction sociale․ Il compare les individus à des acteurs qui jouent des rôles sur une scène, devant un public․ Cette approche, qu’il nomme “dramaturgie sociale”, met en évidence la dimension performative de l’interaction sociale․ Les individus s’efforcent de présenter une image de soi positive et contrôlée, en adaptant leur comportement et leur langage à la situation et au public;
Pour Goffman, la vie sociale est un jeu de rôles où les individus s’adaptent à des scripts et à des attentes sociales․ Il souligne l’importance des apparences, des expressions corporelles et des symboles dans la construction de l’identité et la gestion des impressions․ La dramaturgie sociale met en lumière la nature performative de l’interaction, où les individus s’efforcent de contrôler l’image qu’ils projettent aux autres․
2․1․ Le concept de performance
Pour Goffman, la performance est au cœur de l’interaction sociale․ Il la définit comme l’ensemble des actions, des paroles et des expressions corporelles que les individus mettent en scène pour présenter une image de soi particulière․ La performance est un processus dynamique et intentionnel, où les individus s’adaptent constamment à leur public et à la situation․ Elle implique une mise en scène, un jeu de rôles et une gestion consciente des impressions․
La performance peut être plus ou moins élaborée, plus ou moins authentique, plus ou moins consciente․ Elle peut être spontanée ou préparée, et elle peut être influencée par des facteurs culturels, sociaux et personnels․ L’analyse de la performance permet de comprendre comment les individus construisent leur identité et leur image sociale, et comment ils interagissent avec les autres dans un contexte social donné․
2․2․ La scène et le public
La performance se déroule sur une scène, qui peut être un lieu physique ou un contexte social․ La scène est l’espace où l’individu met en scène sa performance et où il attire l’attention du public․ Elle est définie par des éléments matériels (décor, costumes, accessoires) et par des éléments symboliques (codes, normes, valeurs); La scène est donc un lieu de communication, d’interaction et de construction de la réalité sociale․
Le public est l’ensemble des personnes qui assistent à la performance et qui sont susceptibles d’être influencées par celle-ci․ Le public peut être réel ou imaginaire, et il peut être plus ou moins impliqué dans la performance․ L’individu doit tenir compte du public lorsqu’il met en scène sa performance, car il s’agit de son juge et de son spectateur․ La performance est donc un processus d’adaptation à un public et à un contexte social donné․
2․3․ Le front stage et le back stage
Goffman distingue deux espaces distincts au sein de la performance sociale ⁚ le front stage et le back stage․ Le front stage correspond à la partie visible de la performance, celle qui est destinée au public․ C’est l’espace où l’individu met en scène son personnage social, en respectant les normes et les attentes sociales․ Il s’agit donc d’une performance contrôlée et calculée, où l’individu cherche à projeter une image positive et à obtenir l’approbation du public․
Le back stage, quant à lui, est l’espace privé où l’individu peut se détendre, se libérer des contraintes du front stage et se montrer tel qu’il est réellement․ C’est l’espace où l’individu peut se permettre d’être lui-même, sans avoir à se soucier du regard des autres․ Le back stage est donc un espace de liberté et de spontanéité, où l’individu peut se laisser aller à ses émotions et à ses pensées sans avoir à les censurer․
La gestion des impressions
La gestion des impressions, concept central de la théorie de Goffman, désigne les efforts conscients et inconscients que les individus déploient pour contrôler l’image qu’ils projettent aux autres․ En d’autres termes, il s’agit de la façon dont les individus manipulent les informations et les comportements pour influencer la perception que les autres ont d’eux․ Cette gestion des impressions est essentielle pour maintenir une image sociale positive et pour naviguer dans les interactions sociales de manière efficace․
Goffman souligne que les individus sont constamment engagés dans une forme de “théâtre social”, où ils jouent des rôles et mettent en scène des performances pour atteindre leurs objectifs․ Ils cherchent à contrôler les impressions qu’ils donnent aux autres, en veillant à ce que leur comportement soit conforme aux attentes sociales et aux normes du contexte․ La gestion des impressions est donc un processus dynamique et complexe, qui implique une analyse constante du public, des situations et des conséquences potentielles de ses actions․
3․1․ La présentation de soi
La présentation de soi, élément central de la gestion des impressions, est l’effort que les individus déploient pour contrôler l’image qu’ils projettent aux autres․ Goffman utilise l’analogie du théâtre pour illustrer ce concept, comparant les individus à des acteurs qui jouent des rôles et mettent en scène des performances pour influencer la perception que les autres ont d’eux․ La présentation de soi est donc un processus dynamique et stratégique qui implique la sélection et la manipulation d’éléments tels que l’apparence physique, le langage, les expressions faciales et les comportements non verbaux․
Goffman distingue deux aspects importants de la présentation de soi ⁚ le “moi” (self) et le “masque” (mask)․ Le “moi” représente l’identité réelle de l’individu, tandis que le “masque” est l’image qu’il projette aux autres․ Il est important de noter que le “masque” n’est pas nécessairement une façade ou une tromperie, mais plutôt une adaptation stratégique à la situation sociale․ Les individus ajustent leur “masque” en fonction du contexte, du public et des objectifs qu’ils souhaitent atteindre․
3․2․ Les rôles sociaux et l’identité
Goffman souligne l’importance des rôles sociaux dans la construction de l’identité․ Chaque individu occupe une multitude de rôles sociaux, tels que celui d’ami, de collègue, de parent ou de citoyen․ Ces rôles définissent les attentes et les comportements appropriés dans différentes situations sociales․ La performance de ces rôles est essentielle à la gestion des impressions et à l’interaction sociale fluide․
L’identité, selon Goffman, n’est pas un concept fixe mais un processus dynamique et contextuel․ Elle se construit à travers les interactions sociales et les performances de rôles․ Les individus s’adaptent aux différentes situations et ajustent leur présentation de soi en fonction des rôles qu’ils endossent․ La notion d’identité est donc fluide et dépendante du contexte social, ce qui implique que l’individu n’est pas un être unique et immuable, mais plutôt un ensemble de rôles et de performances․
3․3․ Les stratégies de manipulation
Goffman analyse les stratégies de manipulation utilisées par les individus pour contrôler l’impression qu’ils donnent aux autres․ Ces stratégies peuvent être conscientes ou inconscientes, mais visent toutes à influencer la perception du public․ Il distingue plusieurs techniques, telles que⁚
- La flatterie⁚ complimenter le public pour gagner sa sympathie et son approbation․
- L’auto-promotion⁚ mettre en avant ses qualités et ses compétences pour se présenter sous un jour favorable․
- La dissimulation⁚ cacher des aspects négatifs de sa personnalité ou de son passé pour maintenir une image positive․
- L’intimidation⁚ utiliser la force ou la menace pour influencer le comportement des autres․
- La manipulation émotionnelle⁚ jouer sur les sentiments du public pour obtenir ce qu’on veut․
Ces stratégies de manipulation illustrent la complexité de l’interaction sociale et la manière dont les individus cherchent à influencer la perception des autres pour obtenir un avantage social ou professionnel․
L’interaction symbolique
L’interaction symbolique, un courant de la sociologie, constitue un pilier central de la théorie de Goffman․ Cette perspective met l’accent sur la manière dont les individus créent et interprètent les symboles dans leurs interactions sociales․ Goffman souligne que les interactions ne sont pas simplement des échanges d’informations, mais des processus complexes de signification et d’interprétation․
Les symboles, qu’ils soient verbaux ou non verbaux, jouent un rôle crucial dans la construction de la réalité sociale․ Les individus s’appuient sur des symboles partagés pour comprendre le monde qui les entoure et pour interagir avec les autres․ Par exemple, un sourire peut symboliser la joie, un regard fuyant peut signifier la gêne, et un geste de la main peut exprimer l’accord․
L’interaction symbolique permet de comprendre comment les individus construisent des significations communes et partagent une vision du monde․ Elle met en lumière l’importance des codes sociaux, des normes et des valeurs dans la structuration des interactions sociales․
4․1․ Le langage non verbal
Goffman accorde une importance considérable au langage non verbal dans la construction et la communication sociale․ Il souligne que les expressions faciales, les gestes, la posture, le ton de la voix et l’apparence physique transmettent des messages importants et influencent la perception que les individus ont les uns des autres․
Le langage non verbal peut être intentionnel ou involontaire․ Un sourire peut être un signal conscient de sympathie, tandis qu’un rougissement peut être une réaction physiologique inconsciente à la gêne․ Goffman met en évidence la complexité de l’interprétation des signaux non verbaux, car ils peuvent être ambigus et dépendre du contexte social․
L’analyse du langage non verbal permet de comprendre comment les individus gèrent leurs impressions et construisent des relations sociales․ Elle met en lumière la dimension symbolique et expressive des interactions quotidiennes․
4․2․ La construction sociale de la réalité
Goffman s’inscrit dans la tradition de l’interactionnisme symbolique en affirmant que la réalité sociale n’est pas une donnée objective mais une construction sociale․ Les individus, à travers leurs interactions, créent et maintiennent un ordre social partagé, fondé sur des conventions et des significations symboliques․
La réalité sociale est donc un produit de l’interprétation et de la négociation constante entre les individus․ Les actions, les paroles et les comportements sont interprétés à travers des cadres de référence et des systèmes de signification partagés․ La perception de la réalité est ainsi influencée par les rôles sociaux, les normes sociales et les attentes culturelles․
Goffman souligne que la construction sociale de la réalité est un processus dynamique et fluide, susceptible d’être remis en question et transformé par les interactions sociales․ Il met en évidence le caractère performatif et subjectif de la réalité sociale, qui est constamment façonnée par les actions des individus․
Implications et critiques
La théorie de Goffman a eu un impact considérable sur les domaines de la sociologie, de la psychologie sociale et de l’anthropologie․ Elle a contribué à l’essor de la microsociologie, en mettant l’accent sur l’analyse des interactions sociales quotidiennes et des processus de construction de la réalité․
Elle a également influencé les études sur la communication non verbale, la gestion des impressions et la construction de l’identité sociale․ Cependant, la théorie de Goffman a également fait l’objet de critiques․ Certains sociologues reprochent à Goffman de trop se concentrer sur les aspects superficiels de l’interaction sociale, en négligeant les structures sociales et les facteurs économiques qui influencent les comportements․
D’autres critiques pointent du doigt le caractère trop individualiste de sa théorie, qui ne prend pas suffisamment en compte les influences sociales et les contraintes structurelles qui façonnent les actions des individus․ Malgré ces critiques, la théorie de Goffman reste un outil précieux pour comprendre les interactions sociales et la construction de la réalité sociale․
5․1․ La microsociologie et la sociologie de la vie quotidienne
L’œuvre de Goffman a contribué de manière significative à l’émergence de la microsociologie, un courant de la sociologie qui s’intéresse aux interactions sociales quotidiennes et à la manière dont les individus construisent la réalité sociale à travers leurs interactions․
En se concentrant sur les détails de la vie quotidienne, Goffman a démontré que même les interactions les plus banales sont chargées de sens et de significations sociales․ Sa théorie a également contribué à la sociologie de la vie quotidienne, en mettant en lumière l’importance des interactions sociales dans la construction des identités, des valeurs et des normes sociales․
En analysant les rituels, les codes et les conventions qui régissent les interactions sociales, Goffman a offert un éclairage nouveau sur la manière dont les individus négocient leurs positions sociales, gèrent leurs impressions et construisent leurs identités dans le contexte de la vie quotidienne;
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